Contributions au Bull NOS et à Malimbus RACCOURCIS

Extrait de Malimbus Vol. 30, Numéro 1, mars 2008

Bob Sharland: hommage pour son 90ème anniversaire

Ce numéro de Malimbus est consacré à R.E. (Bob) Sharland, un des membres fondateurs de la Nigerian Ornithologists’Society en 1964, membre du Conseil de la N.O.S. et de son prolongement, la S.O.O.A. (Société d’Ornithologie de l’Ouest Africain) pendant 43 ans. Bob vient juste d’atteindre l’âge vénérable de 90 ans et cela donne à ses amis de la S.O.O.A. le plaisir de l’en féliciter ainsi que le remercier pour tout ce qu’il a fait pour la Société, en lui souhaitant d’observer encore les oiseaux de nombreuses années

      John Elgood et Bob fondèrent notre Société en février 1964, à peu près à mi-chemin de la vie de Bob, alors que les ornithologues en Afrique de l’Ouest étaient aussi rares que les poules avec des dents. Bob habitait Kano, John à l’autre bout du Nigeria à Ibadan, et notre journal, le Bulletin of the Nigerian Ornithologists’ Society, assez primitif, était produit à Zaria. Dès le départ, Bob joua un rôle actif, stimulant notre intérêt de toutes les façons. Il fit six publications dans les quatre numéros du Bulletin de 1964, partageant sa connaissance déjà considérable des oiseaux de Nigeria en gardant sa maison ouverte et en sautant sur la moindre occasion d’accompagner les visiteurs pour une sortie dans le nord du pays.

      Comptable de profession pendant des années aux Nigerian Oil Mills, Bob était, et demeure, un naturaliste dans l’âme. Son intérêt principal est les oiseaux, en particulier la capture aux filets pour le baguage, mais il a aussi une connaissance enviable acquise sur le terrain des papillons, des arbres et des fleurs. Conservationniste convaincu, il a beaucoup aidé la Nigerian Field Society et la Nigerian Conservation Foundation. Phil Hall, Président du Comité Scientifique du N.C.F., écrit: “Quand je suis arrivé pour la première fois au Nigeria en 1972, Bob était toujours là pour fournir aide et conseil ainsi qu’un lit confortable chez lui à Kano. Au cours de mes premiers mois, nous sommes allés ensemble à Malamfatori sur la rive NE du lac Tchad où nous sommes restés une semaine à baguer des migrateurs paléarctiques à la Station Piscicole et j’y ai appris beaucoup grâce à ses connaissances considérables. C’était un bagueur enthousiaste et jusqu’à son départ du Nigeria, il anima le Nigerian Bird Ringing Report. En 1985, il retourna au Nigeria accompagné de John Ash et entreprit un inventaire complet des zones importantes pour les oiseaux à travers le pays pour le compte du ICBP et de la Nigerian Conservation Foundation. Le rapport, qu’ils publièrent par la suite, jeta les bases d’un solide programme de conservation pour le Nigeria et beaucoup des sites qu’ils identifièrent sont maintenant complètement protégés. Nous voudrions, de la part du Comité Scientifique de la N.C.F., souhaiter à Bob un heureux anniversaire pour ses 90 ans et aimerions l’accueillir encore au Nigeria pour lui montrer tout ce qui a été réalisé à la suite de son œuvre de pionnier.”

      Quand je quittai le Nigeria en 1967, Bob se chargea de l’administration de la Société, remplissant le rôle de Secrétaire et de Trésorier jusqu’en 1978 et demeura Trésorier jusqu’à ce jour ainsi que Secrétaire aux Abonnements. Peut-être personne n’a publié autant que lui dans le Bulletin et Malimbus: en tout quelque 85 articles, notes et rapports (une liste complète des publications de Bob dans notre journal se trouve sur le site web de la S.O.O.A.). Sa toute première publication était son rapport de baguage, une caractéristique qui subsista jusqu’au 28ème rapport en 1986. L’intérêt d’avoir les oiseaux en mains et de les baguer apparaît en feuilletant les articles sur le baguage d’hirondelles (1965), le poids des Phragmites des joncs et des Rousserolles effarvates (1966), les reprises des bergeronnettes flava (1967), les reprises d’oiseaux résidents (1967) et les reprises de bagues entre le Nigeria et l’est de l’Europe (1997). Un autre aspect fut pendant des décennies la publication d’un rapport financier annuel.

      La grande passion de Bob fut les oiseaux d’eau. Comme membre du Groupe de travail sur les canards de l’International Wildfowl Research Bureau il publia une série d’articles dans le Bulletin sur les recensements de sauvagine. Son imagination s’enflammait pour tout ce qui permet de se mouiller les pattes, et le bulletin a vu des articles sur les Grébifoulques (Finfoots), qu’il appelait Finfeet, les Sarcelles à oreillons, les Blongios nains, les Sarcelles hottentotes, les Pluviers à triple collier, les Cormorans, les Sarcelles marbrées, les Poules d’eau d’Europe, les Mouettes rieuses et à tête grise. Un autre exemple de son énergie fut la compilation des listes régionales d’avifaune, par exemple celle du Jos–Bauchi Plateau, Tivland, Mallam’fatori, Yankari Game Reserve (à présent Parc National), Nindam Forest (Kagoro) et bien entendu le Kano State qu’il aimait tant (1981, Malimbus 3: 7–30). Dans son amicale notice nécrologique pour John Elgood, co-fondateur de la N.O.S. (1999, Malimbus 21: 74–75), Bob rappelle que quand John était avec lui en 1976 ce dernier écrivit un rapport sur les zones humides entre Hadejia et Nguru, pour le département de l’agriculture du Kano State, avec pour résultat l’inscription de la zone comme Réserve humide. On peut parier que Bob assuma une large part du travail de terrain.

      La Sarcelle marbrée et la Poule d’eau d’Europe étaient nouvelles pour l’Afrique de l’Ouest, ainsi que l’Hypolaïs des oliviers capturée par Bob à Kano. Parmi les oiseaux terrestres, les coucous l’ont toujours intéressé et en 1959 c’est lui qui m’apprit, car j’étais tout à fait novice en ornithologie africaine, combien le Coucou solitaire était répandu sur l’île de Fernando Po (à présent Bioko): il criait partout et pourtant nous n’en vîmes aucun. Bien des années après il me laissa deviner si le Coucou criard existait dans le district de Zaria: à l’époque aucun n’avait été vu ni entendu, et encore moins une plume ou un œuf trouvés. Réponse: le chant du Petit Cossyphe à tête blanche contient des imitations du Coucou criard. Mais plus tard on découvrit que les deux espèces sont de rares visiteurs de printemps venant du sud, si bien que peut-être le cossyphe aurait appris ailleurs à imiter le coucou.

      Bob a toujours été un lève-tôt, même une lève-très-tôt. Au Congrès Ornithologique Panafricain de Lilongwe, Malawi, je me rappelle m’être levé tôt pour faire quelques observations sur les oiseaux avant le petit déjeuner et avoir eu la surprise d’apercevoir la silhouette sombre de Bob, à peine visible dans les hautes herbes, et se détachant sur le fond de la rivière. Il fixait quelque chose à travers ses jumelles. Pendant plusieurs minutes je fouillai la rive mais ne vis rien. Comme j’approchai, il me taquina et me dit “Regardez l’œil, là, dans les roseaux” mais je ne voyais toujours rien du tout jusqu’à ce qu’il m’indiqua un œil énorme et que son propriétaire prit lentement forme: c’était le rare Bihoreau à dos blanc, jusqu’à ce jour ma seule et unique observation.

      La découverte de cet œil était un admirable exemple de sa virtuosité sur le terrain; il était et demeure sûrement un observateur de la nature avec un excellent coup d’œil et une oreille fine. C’est un témoignage de son enthousiasme et de sa volonté, que passé 80 ans il parcourt, grâce aux excursions, tous les coins du monde en quête d’oiseaux, de plantes et d’insectes. Puisse-t-il trouver après 90 ans encore beaucoup d’autres destinations de voyage.

      Tout cela parle du Bob Sharland ornithologue, de sa passion pour les oiseaux du Nigeria, de son soutien à notre Société et de la défense sans faille de ses intérêts, mais touche à peine à Bob Sharland lui-même. C’est grâce à sa personalité séduisante, à son esprit généreux, à son hospitalité attentionnée, à son amitié et au fait d’être toujours là pour ses collègues, qu’il laissa une telle empreinte sur S.O.O.A.

      Mike Dyer se rappelle que, arrivant au Nigeria pour étudier les Guêpiers à gorge rouge à l’université Ahmadu Bello à Zaria début 1970, “l’enthousiasme de Bob était immédiatement apparent; en un rien de temps il s’était arrangé pour revenir le week-end suivant malgré un long détour (ce n’était pas rien de voyager de Kano à Zaria à cette époque), me prendre au passage et repartir quelque part dans la brousse. Cela était absolument typique de lui. Pendant les quatre ou cinq années à venir, partir en brousse avec ses filets et son matériel de camp pour le week-end appartenait en quelque sorte à un rituel.

      “C’est de ces expéditions à Old Birnin Gwari, une région avec des lions bien à l’ouest de Zaria, que je garde mes meilleurs souvenirs de lui. Habituellement, nous arrivions bien avant le coucher du soleil. Bob prenait alors soudain un sentier embroussaillé et conduisait pendant plusieurs kilomètres dans l’inconnu. Tout à coup, il s’arrêtait près d’une hutte de pisé abandonnée, avec la moitié d’un toit, qui serait notre base pour la fin de la semaine. S’agitant avant l’aube et rassemblant avec bruit les perches, trébuchant au milieu de notre fourbi avant de sortir pour poser ses filets était une routine; l’aube s’était à peine levée qu’il rentrait avec quelque Sénégali vert à joues blanches ou autre espèce; il mesurait et baguait sa capture puis après un rapide petit déjeuner retournait en brousse pour la journée. Une autre fois il vit quelques martinets tomber du ciel au crépuscule et plonger dans un puits de village abandonné. Bien avant l’aube il était debout, avait recouvert l’entrée du puits avec sa moustiquaire et encore une fois le petit déjeuner fut marqué par la réapparition de Bob, cette fois avec une bonne capture de Martinets d’Ussher.”

      Arrivé à Kano pour prendre son poste à Bayero University in 1977, Roger Wilkinson profita beaucoup de la gentillesse de Bob: “Il était de retour au Nigeria après son premier départ en retraite quand nous l’avons rencontré ma femme et moi pour la première fois. Ayant appris par la rumeur publique qu’un autre mordu des oiseaux arrivait à l’Université, il s’arrangea pour savoir où nous étions; il était la gentillesse en personne, nous invita chez lui où on trouvait compagnie, conversation et repas. Un plat particulièrement mémorable fut un ragoût de Canard à bosse où dominait la chair de la première Sarcelle marbrée du Nigeria, tirée parmi un vol d’une cinquantaine par un chasseur près de Nguru. Plus tard Bob venait à la maison pour dîner mais une fois nous eûmes beaucoup de retard. Nous avions essayé de capturer des engoulevents mais n’avions réussi qu’à revenir avec des filets pleins de chauves-souris que Bob insista pour sortir des filets, avant de commencer le repas.

      “Sa vie semble avoir été dominée, du moins me semble-t-il, par ses activités hors bureau et même loin de la ville. Preneur d’oiseaux au filet passionné et plein d’expérience, il nous emmena souvent sur ses sites préférés parfois près mais aussi loin de Kano. Naturaliste authentique, il avait une énergie et un enthousiasme inépuisables pour la vie et les oiseaux; plutôt que d’attendre et de voir ce qui allait arriver, il préférait marcher à travers la brousse. Ce qui est surprenant c’est que Bob ait gardé toute sa joie de vivre jusqu’à 90 ans. J’ai beaucoup appris de lui et je m’estime heureux d’être encore capable de profiter de sa compagnie; je lui souhaite d’être encore capable longtemps de profiter de la nature.”

      Pour Gérard Morel, ex-Président de S.O.O.A., les relations avec Bob ont eu un caractère un peu différent: “J’ai en effet longtemps résidé au Sénégal, donc loin du Nigéria et nous n’avions que des contacts épistolaires. Mais, de retour en France, à ma retraite, je n’ai pas tardé à rencontrer Bob en Angleterre pour les réunions annuelles du Conseil de la S.O.O.A. et aussi sur le continent car, entre 1990 et 2000, plusieurs réunions eurent lieu en Normandie et aux Pays-Bas et selon son habitude il n’hésita pas à se joindre aux autres participants et nous montrait une fois encore sa passion des oiseaux.

      “Mais je voudrais insister sur son rôle essentiel dans la Société pour des tâches administratives rébarbatives et souvent obscures. Il continuait à assurer le suivi de la comptabilité, recherchait le meilleur et le moins cher des imprimeurs, rappelait aux membres négligents le paiement de leur cotisation et assurait l’expédition des bulletins. Peu habitué à l’ordinateur et toujours dans un grand souci d’économie, il m’écrivait sur de minuscules lettres l’objet de sa requête qui était présenté dans un style concis mais parfaitement clair. C’est grâce à une telle gestion que le montant de la cotisation fut maintenu si longtemps sans que cela nuise à la qualité du bulletin, bien au contraire.

      “J’imagine mal la Société sans Bob et ne puis oublier son accueil chaleureux dans sa maison tranquille, perdue dans la campagne à proximité d’un cours d’eau et, en tant que Président, je tiens à le remercier d’une collaboration aussi agréable qu’efficace. Bonne continuation, cher Bob, et en route pour votre centenaire, n’est-ce pas.”

      C’est avec grand plaisir que le Conseil de S.O.O.A. a offert à Bob une Adhésion Honoraire à Vie, faible témoignage de notre gratitude.